Certains tableaux ont cette étonnante capacité à nous enchanter, à toucher notre imaginaire, nos émotions.
Mais comment sont-ils nés ?
Dans quelles circonstances et à quel moment de la vie de l’artiste ?
Alors pour continuer l'expo...
Alors si le musée est fermé...
Ou alors tout simplement envie de rester chez vous...
Laissez l'art devenir roman et venir à vous...
Un moment suspendu, frissonnant, un brin enchanteur et magique, laissant des traces de son passage longtemps après sa découverte… Rares sont les occasions de prolonger le bonheur d’une exposition avec la lecture d’un ouvrage si totalement en symbiose avec son sujet. Il faut dire que c’est le principe de la collection « Le roman d’un chef-d’œuvre », aux éditions Ateliers Henry Dougier. « Les heures suspendues selon Hopper », « De l’or dans la nuit de Vienne selon Klimt », « La femme moderne selon Manet », « Sous le ciel immense selon O’Keeffe »... Chaque livre embarque le lecteur dans l’aventure d’un tableau, et les faits relatés dans ces courts romans sont vrais, documentés et vérifiés tout en laissant place à l’imagination et la littérature. De quoi nourrir une anthologie frémissante alliant l’art et les lettres comme jamais.
Dans « Vibre, exquise nature ! selon Chardin », Alain Vircondelet, enseignant-chercheur et docteur ès lettres et en Histoire de l’art et des mentalités, auteur de biographies sur Camus ou Rimbaud, mêle récit romanesque et enquête historique pour donner mots, corps et chair à la nature non pas morte mais furieusement vivante qui illustre le mieux le « goût français », classé trésor national et visible à Orléans, ô fait grandiose, jusqu’au 11 janvier. Conteur hors-pair, poète aussi, Alain Vircondelet nous introduit dans un atelier du Louvre où sont logés les artistes, la cour ayant déménagé à Versailles, il nous raconte cette frénésie, la genèse du tableau ; il nous décrit par le menu cette « pyramide comme si ces fraises étaient des objets sacrés, des hosties qu’il aurait empilées l’une après l’autre jusqu’à réaliser cet édifice, éphémère mais non moins religieux à ses yeux… » La saga d’un panier de fraises comme béni des dieux, une lecture parfois légère, parfois poignante, où l’homme en vient à toucher au sacré de l’art. « Leur vérité n’était pas due seulement à la ressemblance avec leurs modèles, mais plutôt à une sincérité vertigineuse proche de l’âme, cela même que Chardin voulait atteindre. »
Plaisir des yeux, goût des beaux mots, jouissance des sens, magie végétale… On a presque l’impression de toucher du doigt ce panier de fraises des bois, de humer la senteur poivrée des œillets et l’odeur sucrée des fruits, d’en goûter le jus sur la langue au cours de cette lecture vibrante et quasi mystique. Comme Chardin qui a élaboré une composition particulière et savante, prête à susciter une émotion, et a élevé dans l’éternité un panier de fraises pourtant voué à être détruit et à disparaître, l’auteur superpose des couches de sensations, au carrefour du fini et de l’infini, aller-retour étourdissant entre passé et présent, qui ne peuvent que faire frémir les lecteurs.
L’autre magie du livre est de donner envie de retourner voir le tableau avec l’envie d’en observer le moindre détail, de se noyer dans sa beauté presque irréelle. Par chance, ce sera chose facile puisqu’il suffit d’aller au Musée des beaux-arts pour l’admirer et s’offrir un tête à tête avec ce chef-d’œuvre, sans la horde de visiteurs qui ne manquera pas de se presser autour de lui, au Louvre, d’ici quelques mois.
Emilie Cuchet
