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      le 01/07/2025

      Rencontre autour du film « Le bonheur est une bête sauvage »

      Il y a quelques semaines, l’équipe du film « Le bonheur est une bête sauvage » était de passage au Pathé Orléans. L’occasion de discuter à bâtons rompus avec des amoureux d’un cinéma artisanal, familial, célébration de l’humain, qui va droit au cœur.

      Crédit : Mitiki

      Comment sont nés cette histoire et ce film qui sort ce 2 juillet dans les salles ?

      Sophie Davout (scénariste, actrice) : Alors en fait, c'est assez particulier parce que c'est né d'un imprévu.

      Ce qui s'est passé, c'est qu'on devait faire un film qui n'était pas celui-ci, qui était quand même assez avancé. Fin décembre 2022, le comédien principal nous a annoncé qu’il ne pouvait plus le faire, pour des raisons très légitimes, qu'on a compris. Et du coup, on s'est retrouvés sans rien. En se disant, qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce qu'on arrête ? Ou est-ce qu'on profite de cette fenêtre de tir d’un tournage en septembre, soit 9 mois après seulement ?

      Après les Fêtes de Noël, on s’est dit : « On réécrit une histoire et on y va ! ». Tous les deux, nous avons eu 3 ou 4 rendez-vous dans un café, pour écrire, parler, inventer une autre histoire. L’urgence nous a bousculé, inspiré. Il s'est passé une espèce d'effervescence. J’ai écrit le scénario en avril-mai d’après nos discussions, nos notes. Bertrand y a mis sa patte en juin et voilà… 

      Bertrand Guerry (réalisateur) : C’était vertigineux, parce qu’on savait qu’on allait tourner dans quelques mois. Nous étions un tout petit peu à côté de la route des tournages, on va dire, puisqu’un film se fabrique, logiquement, plutôt en deux ans. Nous c’était le temps d’une gestation, de l’accouchement de ce bébé-là. 

      Dans les notes que nous avions partagées, le sujet du film tournait autour de l’acceptation d’un deuil. On a échangé sur la forme : plutôt quelque chose d’un peu âpre comme pour le premier film, « Mes frères », ou alors en mode comédie dramatique. Le ton plus léger était parfait pour parler de l’histoire de Jeanne qui a vécu de drames en naufrages et va à un moment donné se décider à vivre, sans son mari. C’est le personnage du jeune Tom, en quête de liberté, décidé à quitter l'île pour aller rejoindre Paris, qui va faire pivoter la vie de Jeanne, et finalement, la vie de toute une communauté qui n’attendait peut-être que ça aussi… Parce qu’il y avait un déni total. Le sujet c’est cela : les accidents existent, la mort rôde, comment le vivant reste après avec ça. 

      Mais on avait envie aussi d’un film lumineux. Et pour contrecarrer la tragédie, on a imaginé cette communauté un peu fantasque, loufoque, burlesque. Le personnage de Viktor est arrivé en deuxième phase.

      Cédric Marchal alias Viktor (comédien) : J’ai le droit de raconter ? 

      Bertrand Guerry (réalisateur) : Bien sûr, tu as le droit de raconter ! 

      Cédric Marchal alias Viktor (comédien) : Je jouais le duo « Oscar et Viktor » lors d’un événement au mois de mai de cette année-là, et Bertrand était présent. Et à midi, on est tous en train de manger avec l'équipe artistique, et Bertrand me dit : « Je suis super content, ça y est, on a les autorisations, on a les dates, on a la distribution, on attaque le film en septembre. » Et là, je le regarde, et sur le ton de la blague je lui dis : « Et à aucun moment, tu te dis, tiens, et si je prenais un artiste chauve de talent pour mon film ? » J'ai mon Bertrand qui suspend sa fourchette comme ça, il la pose, il se lève, il va passer un coup de téléphone, il revient et me dit : « Je viens d’avoir Sophie. On va jumeler le patron de bar et le garde-chasse pour en faire un personnage et tu as le rôle. » Et là, Sophie, qui arrive un peu plus tard dans la journée voit pour la première fois le show d’Oscar et Viktor.  Et l’idée est venue de nous prendre tous les deux pour jouer les patrons de bar ! 

      C’est irrésistible. Trois mois avant le tournage, tout à coup, cela change un axe du film, avec un binôme qui vient éclairer un autre aspect dans le film. Il y a quelque chose d’extraordinaire dans cette écriture, c’est de montrer à quel point un collectif, pour pouvoir faire son deuil, a besoin que tous les membres aillent mieux, sinon, il y a un truc un peu bancal. Et le point de jonction pour le collectif c’est régulièrement le bistrot. 

      Sophie Davout (scénariste, actrice) : Il y avait tout à coup cet équilibre, une évidence. Je me suis dit, mais c'est eux qu’il nous faut, parce qu'ils font l'espèce de contrebalance absolument génial avec le côté plus dramatique. Ce sont les dernières pièces complétant le puzzle. 

      Bertrand Guerry (réalisateur) :  Le film part de beaucoup d’accidents, on va dire, parce que si on s’en rappelle, cela commence avec un comédien qui dit non. Il y a deux façons de faire les choses, soit tu baisses les armes, soit tu continues et tu rebondis, un peu résilient comme le personnage de Jeanne, et du coup on s’est permis cela, même dans la construction du film. 

      Sophie Davout : On a rajouté beaucoup de poésie. On avait envie de quelque chose de très esthétique. Tout cela a provoqué un effet boule de neige.

      Cédric Marchal : il y a un parallèle entre le film et la tarte tatin, la sérendipité.

      C’est un film très familial et amical. Pour vous, le cinéma c’est la célébration de la vie, et de ce qui lie les êtres ?

      Bertrand Guerry : Oui, c'est vrai, c'est un peu l'essence de notre cinéma… 

      Cédric Marchal : Le convivial et le faire ensemble.

      Bertrand Guerry : On ne veut pas s’interdire quoi que ce soit. En ouvrant la possibilité d’enrôler notre grande famille, de sang et de cinéma puisqu’on retrouve même des techniciens etc…, on sent que c’est pour nous une manière d’être totalement au bon endroit. J’ai besoin de ça. Je ne serais pas forcément à la même place, à filmer, si ce n’était pas un fragment de nous. Cela résume aussi l’indépendance qu’on a envie d’avoir. 

      Sophie Davout : La fabrication de film, c’est notre passion. 

      Bertrand Guerry : Cette liberté que l’on s’autorise vient notamment d’un choix que l’on a fait de montrer à l’image de nouveaux visages. C’est là qu’on arrive à être au bon endroit. Le spectateur a besoin de ça aussi, de voir de nouvelles têtes, de ne pas les connaître. On convoque la curiosité des gens ; on leur demande de prendre le risque de rentrer dans la salle. On leur raconte une histoire. C'est vrai qu'on est un peu anti-marketing, on l'avoue. 

      Cédric Marchal : Il y a des précédents de réalisateurs qui tournent en famille ou en famille recomposée, c’est presque une tradition dans le cinéma comme chez Cassavetes. C’est « la tribu qui fait », et le besoin de faire avec des gens avec qui il y a déjà une intelligence, quelque chose qui circule immédiatement. On n’est pas dans une démarche de séduction. Cela participe de la qualité et de la valeur du film, de son identité aussi. 

      Bertrand Guerry : C’est drôle, on a été comparé aux Cassavetes dans Rock’n’Folk !

      C’est le chemin que l’on dessine. Et on essaie de voir jusqu'où la liberté a encore une place pour surprendre les gens. Hier, on a eu des personnes qui sont rentrées dans la salle et qui ne savaient pas du tout ce qu’elles allaient voir. Les réactions ont été incroyables. Les spectateurs ont été emportés autre part, à un endroit où ils n’imaginaient pas se rendre. D'ailleurs, le rythme du film permet aussi de prendre cet espace. C’est le droit à l’inattendu ! Plusieurs personnes m’ont dit en toute bienveillance que le film était un OVNI. Ils ont été cueillis… J’aime bien cette idée.

      C’est dur de monter un tel film, sans têtes d’affiche, avec un petit budget ?

      Bertrand Guerry : On a fait appel à des financements participatifs. Ce genre de films, c'est plus facile de ne pas les faire, on ne va pas se mentir. C'est même épuisant de les faire. Mais c'est tellement excitant, en fait, que dans la balance, on gagne. Mais on ne gagne pas d'argent. On gagne du plaisir, on gagne de la transmission, on gagne des tentatives. Nous, ce sont des gestes que l'on fait. Et en fait, on propose aux gens de découvrir ces gestes-là. Mais en revanche, on n'est pas efficaces. On n'a jamais voulu... Limite, on accepte de se tromper. Parce que quand on fait un geste, en fait, on le partage. Et puis après, c’est de voir comment il rentre dans les gens.

      Sophie Davout : Il y a le mot sincérité qui revient souvent. Les gens me disent souvent que l'on sent une sincérité dans le film.

      Bertrand Guerry : On tente. Dans notre équipe, tout le monde est à 3 000 %. Parce que quand tu n'as pas d'argent, ce qu'il faut, c'est l'énergie, c'est croire jusqu'au bout. Les acteurs, on leur demandait beaucoup de construire les choses. On est un peu sur quelque chose d’hybride. La liberté, j’ai l’impression que c’est ce qu’on offre aux gens. Il faut accepter de ne rien attendre. 

      Cédric Marchal : Ne s’attendre à rien c’est la meilleure façon de ne pas être déçus et c’est là où on a le plus de chance de vivre quelque chose de bien. Croire, c’est pouvoir. 

      Bertrand Guerry : On sait que le monde ne va pas très bien, on n’est pas complétement hors-sol. Mais c'est juste qu'en fait, soit on le redit, soit... On en montre une autre facette. Et c'est vrai qu'on croit, nous, à ces gens qui peuvent vivre ensemble et que l'humain peut encore arriver à se sauver de tout ce qu'on nous impose, de toutes les couleuvres qu’on nous fait avaler. 

      Sophie Davout : J'ai envie de faire mes preuves et de dire : « Oui on n'est pas connus, mais on peut tous y arriver, on est une équipe, on est un collectif. » C'est un chemin parallèle, comme si on était un peu les pirates du cinéma. Cela provoque une énergie, et une envie de se battre. On va au front, avec confiance. 

      La musique, les silences les images, avec notamment ces plans en nuit américaine prennent beaucoup de place.

      Bertrand Guerry : C'est un film où le mot, même, le dialogue est plutôt restreint. Parce qu'en fait, au-delà des mots, en l'occurrence, l'histoire nous fait dire quand même qu'il y a des êtres plutôt solitaires. La musique était déjà dans l’écriture et progressivement Sébastien Blanchon a donné un virage au film dans un côté plus western. Cela venait compléter, finalement, le texte qui n'était plus là, et glisser vers cette transformation de Jeanne qui sort peu à peu de son emprisonnement et de cette chape de plomb de cette peau d’ours qui la maintient au sol. On a travaillé avec des instruments, instrumentarium, flûte à bec, trompette etc…, des trucs un peu western à la Ennio Morricone. 

      Après, il y avait l’envie de décaler le film de la vraie vie et de transformer nos nuits en nuits américaines. On tournait de jour comme si c’était la nuit. C'était un peu fou parce que les gens nous regardaient, ils ne comprenaient pas ce qu'on faisait. On a recréé ces nuits de contemplation pour Jeanne. L’ambiance sonore western, le procédé des nuits américaines, le costume magique de la peau d’ours… C’est tout cela qui confère son aura au film. 

      Cédric Marchal : C'est drôle, parce qu'en t’écoutant, j'entends que tous les éléments techniques de fabrication du film permettent aussi aux spectateurs, petit à petit, de sortir du cérébral. Tout est mis en œuvre pour libérer la tête de Jeanne, et aussi du spectateur.

      Bertrand Guerry : C’est la même chose au niveau du visuel. J’avais envie d’être à côté, un peu à la manière d’un Wes Anderson qui fait partie de ces gens qui arrivent à nous apporter une espèce de liberté absolue. Il y a cette image que j’adore dans le film de l’ours qui traverse le port et croise un bateau baptisé « Mammouth ». C’est à cet endroit-là que nous nous trouvons, et le cinéma nous permet cela. 

      C’est un film qui peut aider je pense, qui fait du bien. C’est un voyage de résilience, il y a des gens qui vont s’en servir. On parle de déni, de deuil, de comment avancer dans sa vie pour ne pas rester bloquer. C’est ce que j’ai envie de raconter. Cela vient te bousculer, te triturer, te capturer par les émotions. Tu peux pleurer d’un œil, et sourire d’un autre. 

      Cédric Marchal : C’est du déplacement du sens de la gravité ! 

      Propos recueillis par Emilie Cuchet 

      Le Bonheur est une bête sauvage

      Film réalisé par Bertrand Guerry avec Sacha Guerry, Sophie Davout, Chris Walder 
      Durée : 1h35
      Date de sortie nationale le 2 juillet 2025

      Synopsis : Un ours est aperçu sur l’île d’Yeu. Sous l’œil de la lune, les habitants de l’île, tous plus hauts en couleur les uns que les autres, partent à sa recherche. Durant une semaine, une quête collective du bonheur revêt des atours magiques et cocasses sur le manque et l’absence grâce à l’éloge des forces de la nature et des humains.

      Prix en festivals 2025

      Best Soundtrack – Festival Life Beyond Live – Turin – 2025
      Best Indie Feature film – New York Film & Cinematography Awards – 2025
      Best Cinematographer Feature Film – New York Film & Cinematography Awards – 2025
      Best Indie Feature film – Los Angeles Movie & Music Video Awards – 2025
      Best Drama – Los Angeles Movie & Music Video Awards – 2025
      Best Actress – Los Angeles Movie & Music Video Awards – 2025