Comment sont nés cette histoire et ce film qui sort ce 2 juillet dans les salles ?
Sophie Davout (scénariste, actrice) : Alors en fait, c'est assez particulier parce que c'est né d'un imprévu.
Ce qui s'est passé, c'est qu'on devait faire un film qui n'était pas celui-ci, qui était quand même assez avancé. Fin décembre 2022, le comédien principal nous a annoncé qu’il ne pouvait plus le faire, pour des raisons très légitimes, qu'on a compris. Et du coup, on s'est retrouvés sans rien. En se disant, qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce qu'on arrête ? Ou est-ce qu'on profite de cette fenêtre de tir d’un tournage en septembre, soit 9 mois après seulement ?
Après les Fêtes de Noël, on s’est dit : « On réécrit une histoire et on y va ! ». Tous les deux, nous avons eu 3 ou 4 rendez-vous dans un café, pour écrire, parler, inventer une autre histoire. L’urgence nous a bousculé, inspiré. Il s'est passé une espèce d'effervescence. J’ai écrit le scénario en avril-mai d’après nos discussions, nos notes. Bertrand y a mis sa patte en juin et voilà…
Bertrand Guerry (réalisateur) : C’était vertigineux, parce qu’on savait qu’on allait tourner dans quelques mois. Nous étions un tout petit peu à côté de la route des tournages, on va dire, puisqu’un film se fabrique, logiquement, plutôt en deux ans. Nous c’était le temps d’une gestation, de l’accouchement de ce bébé-là.
Dans les notes que nous avions partagées, le sujet du film tournait autour de l’acceptation d’un deuil. On a échangé sur la forme : plutôt quelque chose d’un peu âpre comme pour le premier film, « Mes frères », ou alors en mode comédie dramatique. Le ton plus léger était parfait pour parler de l’histoire de Jeanne qui a vécu de drames en naufrages et va à un moment donné se décider à vivre, sans son mari. C’est le personnage du jeune Tom, en quête de liberté, décidé à quitter l'île pour aller rejoindre Paris, qui va faire pivoter la vie de Jeanne, et finalement, la vie de toute une communauté qui n’attendait peut-être que ça aussi… Parce qu’il y avait un déni total. Le sujet c’est cela : les accidents existent, la mort rôde, comment le vivant reste après avec ça.
Mais on avait envie aussi d’un film lumineux. Et pour contrecarrer la tragédie, on a imaginé cette communauté un peu fantasque, loufoque, burlesque. Le personnage de Viktor est arrivé en deuxième phase.
Cédric Marchal alias Viktor (comédien) : J’ai le droit de raconter ?
Bertrand Guerry (réalisateur) : Bien sûr, tu as le droit de raconter !
Cédric Marchal alias Viktor (comédien) : Je jouais le duo « Oscar et Viktor » lors d’un événement au mois de mai de cette année-là, et Bertrand était présent. Et à midi, on est tous en train de manger avec l'équipe artistique, et Bertrand me dit : « Je suis super content, ça y est, on a les autorisations, on a les dates, on a la distribution, on attaque le film en septembre. » Et là, je le regarde, et sur le ton de la blague je lui dis : « Et à aucun moment, tu te dis, tiens, et si je prenais un artiste chauve de talent pour mon film ? » J'ai mon Bertrand qui suspend sa fourchette comme ça, il la pose, il se lève, il va passer un coup de téléphone, il revient et me dit : « Je viens d’avoir Sophie. On va jumeler le patron de bar et le garde-chasse pour en faire un personnage et tu as le rôle. » Et là, Sophie, qui arrive un peu plus tard dans la journée voit pour la première fois le show d’Oscar et Viktor. Et l’idée est venue de nous prendre tous les deux pour jouer les patrons de bar !
C’est irrésistible. Trois mois avant le tournage, tout à coup, cela change un axe du film, avec un binôme qui vient éclairer un autre aspect dans le film. Il y a quelque chose d’extraordinaire dans cette écriture, c’est de montrer à quel point un collectif, pour pouvoir faire son deuil, a besoin que tous les membres aillent mieux, sinon, il y a un truc un peu bancal. Et le point de jonction pour le collectif c’est régulièrement le bistrot.
Sophie Davout (scénariste, actrice) : Il y avait tout à coup cet équilibre, une évidence. Je me suis dit, mais c'est eux qu’il nous faut, parce qu'ils font l'espèce de contrebalance absolument génial avec le côté plus dramatique. Ce sont les dernières pièces complétant le puzzle.
Bertrand Guerry (réalisateur) : Le film part de beaucoup d’accidents, on va dire, parce que si on s’en rappelle, cela commence avec un comédien qui dit non. Il y a deux façons de faire les choses, soit tu baisses les armes, soit tu continues et tu rebondis, un peu résilient comme le personnage de Jeanne, et du coup on s’est permis cela, même dans la construction du film.
Sophie Davout : On a rajouté beaucoup de poésie. On avait envie de quelque chose de très esthétique. Tout cela a provoqué un effet boule de neige.
Cédric Marchal : il y a un parallèle entre le film et la tarte tatin, la sérendipité.