Construire sa propre fusée et accomplir le premier vol spatial habité en amateur, c’est le rêve secret de Jim... Tel est le pitch du film que vous avez écrit, réalisé et dans lequel vous interprétez le premier rôle. Et l’on peut dire que vous avez réussi le pari incroyable de rendre réaliste cette histoire incroyable.
Nicolas Giraud : C’était ma volonté première, de faire un film réaliste. Autrement dit auquel moi je crois en premier pour qu’après vous en tant que spectateur vous puissiez vous aussi y croire. Le producteur du film, fan du monde spatial, m’a permis de rencontrer Jean-François Clervoy, l’un des plus grands astronautes français qui est allé trois fois dans l’espace. Il a été le conseiller technique du film. Tout ce qu’on raconte dans L’Astronaute est réaliste, est viable. Le projet de navette spatial du film est viable. ArianeGroup nous a accompagnés et nous a fourni 90% des pièces. La seule chose que nous ayons inventée est le XB3, le combustible. Je leur ai dit : « j’ai une fusée qui fait 12 mètres de haut, quel combustible je peux prendre pour avoir suffisamment de puissance dans des réservoirs restreints ? » Le directeur de la sûreté d’ArianeGroup m’a répondu « tu l’enrichis au phosphore, cela deviendra très instable mais très performant. » Donc même le XB3 - inventé dans le film par le personnage de Bruno Lochet - pourrait exister dans la vie réelle. Encore faudrait-il avoir la folie, oser, croire en sa bonne étoile pour tenter sa chance !
Justement quel parallèle avec vous qui vous êtes lancé dans un défi de taille pour réaliser ce film.
Nicolas Giraud : Je suis fou de cinéma. Le cinéma est ma vie, on ne va pas se tromper. De toute façon quand tu te lances dans la réalisation, il faut vraiment que tu sois passionné. C’est très long, c’est très dur, houleux. Tu n’es vraiment pas sur un lac, tu es au large.
Je suis fan d’Interstellar. Ce film a été un choc pour moi. Même s’il y a des effets spéciaux, il a un côté très naturel, sans la sophistication à l’américaine. On y croit, on est vraiment dedans.
C’était mon souhait avec L’Astronaute. Je ne suis pas américain. Je suis un cinéaste français qui adore le cinéma des autres. Avant d’être acteur, auteur, réalisateur, je suis surtout spectateur. Je ne suis pas un enfant de la balle, je suis un enfant de la salle. Jeune, je voyais tous les films. J’aime autant Les Gardiens de la Galaxie que Godland (sic film dano-franco-islandais réalisé par Hlynur Pálmason, sorti en 2022). Et tout cela est dans l’ADN de L’Astronaute qui est à la fois ambitieux, pointu, mais très ouvert en sentiment. Et vu que je n’ai pas les moyens de lever des fonds colossaux, je ne vais pas faire des effets spéciaux dans tous les sens, ce qui m’intéresse c’est la vibration de chacun.
C’est l’histoire d’un homme qui croit en un rêve et qui pour le réaliser s’entoure d’une équipe de fidèles.
Nicolas Giraud : C’est la leçon du film : il faut croire en ses rêves. Mais aussi intelligent sois-tu, tu ne seras jamais aussi fort que quand tu rencontres d’autres personnes. Il y a cette phrase de Cocteau : « La compréhension est chose si rare qu’on ne saurait la vouloir chez tous… car c’est presque de l’amour. » Tout est dit.
Le personnage de Jim est un peu psychorigide. Il est comme tout individu absorbé, totalement axé vers un projet plus grand que lui. Jim ne fait pas ça pour être le meilleur, Jim fait ça pour se réaliser. Et cela ruisselle, cela irrigue la grand-mère, la mère, le père, toutes celles et ceux qui vont l’aimer de près ou de loin. Cela va réparer quelque chose, cela va soigner quelque chose. Même ceux censés l’arrêter, les policiers, font tomber l’uniforme et lui répondent d’humain à humain. Et il y a les vibrations avec le personnage Izumi. C’’est aussi cela que j’aime, je ne veux pas raconter une histoire d’amour, je veux la mettre en perspective. Et après cela appartient à chacun, c’est au spectateur de se faire sa propre idée.
Pour réaliser ses rêves, il faut être prêt à embrasser la solitude ou une forme de solitude. Il faut être prêt à ne pas être en campagne électorale, à ne pas être aimé tout le temps et par toutes et tous, à ne pas être compris, à s’adapter aux vents contraires. Il faut être concentré, mais aussi ouvert et être prêt à rencontrer des gens.
On peut y voir un parallèle avec le cinéma semé d’embûches. Du coup, vous avez réalisé votre film idéal ?
Nicolas Giraud : Je pense que la richesse du cinéma c’est la différence. C’est que j’aime quand je vais voir les films des autres. Me concernant oui c’est une œuvre totale. De mon premier film - Du soleil dans les yeux - à L’Astronaute et au prochain, mes films parlent entre eux, se répondent, disent là où j’en suis. Avec L’Astronaute, j’ai réalisé beaucoup de choses... J’ai rencontré une équipe. J’ai vraiment l’impression que mon travail, en même temps que mes personnages, me réparent moi-même dans ma vie, et m’ouvrent, comme Jim et les autres personnages du film. C’est ma manière de travailler. J’incarne physiquement mon propos, spirituellement.
C’est un film où vous laissez le temps à l’histoire, aux personnages de s’installer. Vous laissez la place à l’introspection, aux silences, aux paysages.
Nicolas Giraud : On est dans un monde de vitesse. Or en vrai, on ne fait pas un bon vin en deux heures. On ne devient pas un bon maçon en trois semaines et on ne construit pas une fusée en 6 mois. C’et pareil pour un acteur. Tu peux avoir la fulgurance, après il y a le métier derrière.
J’ai mis cinq ans pour faire ce film. Presque trois ans d’écriture, le Covid dedans. Puis quand on a commencé, tout a été très vite. Choisir les gens autour de toi, les comédiens, les techniciens, nourrir ton propos. Les acteurs m’ont offert la sonorité que je cherchais. Pendant le tournage, je ne pouvais plus finir les travaux de ma maison car comme le personnage Jim j’étais arc-bouté sur mon projet L’Astronaute. Pendant un an, je me suis lavé avec un tuyau d’arrosage. Et les acteurs ont compris mon geste.
Et puis sans ArianeGroup il n’y aurait pas eu de film. D’un seul coup, on a un centre de contrôle, un centre d’essai. A un moment, je suis réellement à côté du moteur d’Ariane 5 qui a envoyé le télescope James Webb dans l’espace. Et ils sont émus en voyant le film car ils retrouvent la sonorité d’un moteur de fusée. Jean-François Clairvoy a retrouvé la respiration d’un astronaute dans le film.