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      Sorties - Loisirs

      le 18/09/2025

      Rencontre avec le réalisateur du film Les Tourmentés

      A l’affiche cette semaine, Les Tourmentés, avec Niels Schneider et Ramzy Bedia, poussent les personnages, écorchés, à vif, dans leurs retranchements. Nous avons rencontré il y a quelques semaines Lucas Belvaux, réalisateur du long-métrage tiré de son roman éponyme. Un entretien XXL.

      C'est un film qui est adapté de votre roman éponyme. Comment avez-vous eu l'idée du livre au départ et ensuite l'idée du film ? 

      Lucas Belvaux : C’est drôle car l'idée du livre… était d'abord une idée de film. Une très vieille idée, en fait, que j'avais notée dans mon ordinateur il y a une dizaine d'années. J’écris tout le temps, je note toutes les idées quand elles passent. Lorsque je réalise un film, que je travaille tout le temps, souvent j'ai des idées que je ne peux pas mettre en œuvre immédiatement. Je compulse alors des dossiers avec mes idées. Certaines disparaissent, après 3 mois, 1 an. Je les jette parce que je ne les trouve pas si intéressantes que ça. Et puis il y a celles qui restent avec le temps. C’est le cas avec Les Tourmentés

      Cela faisait une petite dizaine d'années que cette histoire traînait, cette idée de faire un remake du film mythique Les Chasses du Comte Zaroff. J’avais envie de faire un film simple : trois comédiens, une forêt. Mais les choses ont tourné autrement. Je venais de terminer le montage du film Des Hommes, et le confinement est arrivé, avec cette impression d’avoir du temps devant soi, d’être dans un moment un peu flottant. J’ai eu envie d’écrire autre chose, sous une autre forme, en me disant que j’allais prendre le temps, que rien ne me pressait. De fil en aiguille, je suis arrivé au bout d'un roman en y prenant beaucoup de plaisir. En retrouvant un plaisir d'écriture que peut-être j'avais un peu perdu, qui était le plaisir de la liberté en fait. Et il y avait le fait d'écrire sans aucune contrainte, ni de production, ni d'édition, parce que je n'avais pas d'éditeur à l'époque, ni de rien. Je n'écrivais que pour moi à ce moment-là. 

      Et donc j'ai pu même changer de projet en cours de route. C'est-à-dire qu'au fur et à mesure que j'écrivais, j'avais de moins en moins envie d'écrire une chasse à l'homme, et de plus en plus envie de parler des personnages, de leur âme. Donc voilà comment le livre est né, comment l’histoire est née.  

      Et du roman au film ?

      Lucas Belvaux : Une fois le roman écrit, je l'ai fait lire à un ami romancier, Laurent Mauvignier, dont je venais d'adapter le livre Des hommes. Et Laurent a trouvé ça bien, m'a suggéré quelques coupes. Il m'a aussi présenté une éditrice. Pendant que je travaillais avec cette éditrice dans l’optique de la publication, j’ai alors pensé à en faire un film. Il y avait des chances pour qu’on me rachète les droits et je préférais le faire moi-même ! Et donc là-dessus, je me suis remis à l’écriture, mais cette fois d’un scénario. 

      Finalement, au-delà de la chasse à l’homme, c'est le parcours de ces trois âmes tourmentées qui prédomine. Qu'est-ce que vous aviez envie de faire passer dans cette histoire qui est un peu un genre de conte sombre, de thriller extrêmement psychologique ? 

      Lucas Belvaux : Ce qui m'intéresse d'une manière générale, ce sont les personnages, et la manière de les rendre le plus humain et complexe possible. Après, humain et complexe ne veut pas dire nécessairement naturaliste. Ce qui m'intéresse, c'est leur dimension tragique, un peu comme une tragédie classique. Je trouve que le personnage joué par Ramzy, par exemple, pourrait être dans l'Iliade. C'est un personnage homérique, avec un rapport au destin, à quelque chose qui arrive de très fort comme cela au début. 

      Au début, je croyais que j'écrivais pour arriver à cette fameuse chasse à l'homme, et en fait plus j'avançais, moins j’avais envie d'écrire cette partie. Il y a de nombreux films, beaucoup de romans traitant de chasses à l'homme, de poursuites dans la nature. On en a vu beaucoup. Et au contraire, plus j’écrivais sur les personnages, plus je m’attachais à eux, à leur humanité, à leurs failles. Allais-je les tuer ? Est-ce que le monde n'est pas suffisamment noir et brutal comme ça ? Comment les sauver ? Est-ce qu'ils vont renoncer à cette chasse à l'homme alors qu'ils sont intimement persuadés que c'est leur destin, qu’il est inéluctable ? Tout passe par la découverte de l'affection, de l'amour, du fait que la vie peut être belle et qu'elle n'est pas que noire, que désespérée, que violente. 

      Oui, le film est traversé par de thématiques universelles. Le point de départ, c’est est-ce que la vie a un coût, a-t-elle un prix ? 

      Lucas Belvaux : Oui le début est très noir (sourire). On retrouve pleins de sujets dans le film : l'amour, la paternité, la camaraderie, et puis il y a aussi le rapport à l'argent, le capitalisme. Que vaut la vie d'un homme ? Elle vaut déjà le prix de sa force de travail. Pour gagner sa vie, pour vivre tout simplement, nous sommes obligés de vendre notre force de travail qui va être évaluée plus ou moins bien. Ce sont des questions qui se posent aujourd'hui : l'écart de salaire, de fortune, de richesse entre les plus pauvres et les plus riches se creuse de plus en plus. Donc, il y a un aspect très réaliste dans la noirceur du début, dans cette idée qu’une personne riche puisse « acheter », « posséder » quelqu’un de pauvre pour de l’argent. 

      Comment avez-vous composé votre casting, parce qu'il est essentiel dans le film ? 

      Lucas Belvaux : C'est toujours un peu empirique de concevoir son casting, c'est-à-dire que ce n'est jamais évident au moment où on le fait, or à la fin il faut que cela soit une évidence pour le spectateur quand il découvre le film, il ne doit pas se poser de question. Et donc, on tâtonne, on pense à des gens, on fait des aller-retours. Petit bout par petit bout, tout à coup, il y a une espèce d'avatar qui va se créer, et un acteur qui va correspondre et lui prêter ses traits. Et puis il y a une chronologie qui se fait aussi. Il y a d'abord un acteur qui apparaît, qui s'impose, là en l'occurrence, cela a été Ramzy. Ça a été le premier... avec, très vite, Linh-Dan Pham incarnant Madame. À partir du moment où j'avais ce couple-là, il fallait construire le reste de l’édifice en fonction d'eux, marier des personnalités, avoir des acteurs qui ne se ressemblent pas. 

      Ce qui est drôle c’est que Ramzy et Niels Schneider se connaissaient, ils s’entendaient très bien car ils avaient tourné ensemble dans la série Baron Noir. Et Ramzy et Linh-Dan avaient joué ensemble dans le dernier Astérix. Ils s'estimaient, ils aimaient bien travailler ensemble. Donc dès le départ, déjà ça roulait, après ce sont des acteurs et ils ont l'habitude de très vite trouver les connexions. 

      Et puis après, il y avait aussi un atout, c'est qu'ils avaient tous lu le livre, ils l’avaient avec eux, le regardaient le soir. Ils se sont beaucoup nourris du livre qui est peut-être plus singulier que le film dans sa forme, plus sombre aussi. 

      Dans Les Tourmentés, il y a des histoires dans l'histoire, complètement folles, sur le passé des personnages. 

      Lucas Belvaux : Les trois personnages ont une chose en commun, ils n'ont pas eu d'enfance. Dans leur jeunesse, il y a eu de la violence, un manque d'amour évident. Ce qui fait qu’une fois arrivés à la quarantaine ou la cinquantaine, ils n’attendent plus rien de la vie. Ils n'aiment plus, il n'y a plus de pulsion de vie, il n'y a plus rien. 

      Et donc la seule chose qui leur permet de ressentir quelque chose, c'est la violence et la mort, le combat aussi. Et donc, c'est cette histoire-là que je raconte, celle de ces trois personnages qui vivaient dans une sorte de Dark web, de monde parallèle que nous ne connaissons pas, pour revenir dans l’Internet ! 

      Il y en a cette femme milliardaire qui vit toute seule, elle chasse... On ne sait pas très bien quelle est sa vie. Elle a de l’argent mais elle n'est pas heureuse. Max se cale sur elle, fait tout pour lui faire plaisir, s’oubliant totalement. Et Skender (Niels Schneider) est un sans-abri, complètement paumé. Les trois ne sont pas loin de tout laisser tomber. Le film est le cheminement à partir du moment où il y a une échéance de mort imminente. Il y en a un qui risque de mourir, une qui risque de tuer. Et à partir de ce moment charnière, ça leur ouvre des perspectives, leur regard change, la vie tout à coup n'a plus le même goût, le même sens. Et donc ils vont changer. 

      C'est une épiphanie. 

      Ce qui est fascinant dans votre projet, c'est que vous avez cette liberté un peu totale, parce que vous écrivez l'histoire, vous êtes réalisateur. C’est important pour vous, aujourd'hui, dans votre carrière, de mener ce type de projet ? 

      Lucas Belvaux : Ce genre de film... c'est compliqué à monter. Ce n'est pas un sacrifice, c'est un engagement. Il faut se battre tout le temps. Il faut se battre pour les financements. Le film a coûté un peu moins de 4 millions, ce qui n'est pas beaucoup dans le cinéma. Il y a 20 ans, j'avais plus que ça pour faire mes films. 

      Je ne suis pas producteur. Ma liberté, je la mets vraiment sur l'artistique. C'est-à-dire que je ne veux pas qu'on intervienne sur le scénario, sur le casting. Même s'il y a toujours des discussions avec la production, je tiens beaucoup à cette liberté. C'est aussi pour ça que je n'ai pas beaucoup d'argent. Parce que je tiens à ma liberté, je ne fais pas beaucoup de concessions. 

      Le manque d'argent va imposer des choses. Par exemple, on a tourné à la Chartreuse au lieu d'aller en Roumanie. Mais qu'est-ce que j'aurais eu en plus là-bas ? Finalement pas grand-chose. On apprend avec l'expérience aussi. 

      Quels sont les premiers retours du public ? 

      Lucas Belvaux : Les retours sont super agréables parce que c'est un film qui n'était pas attendu, qui n'a aucune notoriété. Je vois que les gens sont assez surpris par le film, ils ne s'attendaient pas à ça. Les spectateurs sont souvent conquis. Certains, réticents au départ à cause de la violence annoncée, ressortent émus et positivement surpris. Ce qui me touche, c’est de voir que le film surprend, qu’il offre une expérience inattendue. Au cinéma, je cherche moi-même cette sensation : être emporté par une histoire qui me dépasse, qui me bouscule. C’est ce que j’ai voulu créer ici, parler de cette ambiguïté entre violence et rédemption, de trois âmes perdues qui redécouvrent la vie. Leur parcours est celui d’une sortie des ténèbres, d’un retour à la lumière. C’est une histoire sur la possibilité de changer, de se sauver, même quand tout semble perdu. Et cela parle à beaucoup de gens je pense. 

      Propos recueillis par Emilie Cuchet

      Film Les Tourmentés

      Drame de Lucas Belvaux 

      Avec Niels Schneider, Déborah François, Ramzy Bedia, Linh-Dan Pham

      Lucas Belvaux revisite le genre de la chasse à l'homme pour en faire une réflexion sur la résilience et la valeur de la vie.

      Date de sortie : 17 septembre 

      Le pitch : Ça vaut quoi la vie d'un homme ? D'un homme comme lui. Un homme sans rien. Skender, ancien légionnaire, le découvrira bien assez tôt. "Madame", veuve fortunée et passionnée de chasse, s'ennuie. Elle charge alors son majordome de lui trouver un candidat pour une chasse à l'homme, moyennant un très juteux salaire. Skender est le gibier idéal. Mais rien ne se passera comme prévu.