C'est un film qui est adapté de votre roman éponyme. Comment avez-vous eu l'idée du livre au départ et ensuite l'idée du film ?
Lucas Belvaux : C’est drôle car l'idée du livre… était d'abord une idée de film. Une très vieille idée, en fait, que j'avais notée dans mon ordinateur il y a une dizaine d'années. J’écris tout le temps, je note toutes les idées quand elles passent. Lorsque je réalise un film, que je travaille tout le temps, souvent j'ai des idées que je ne peux pas mettre en œuvre immédiatement. Je compulse alors des dossiers avec mes idées. Certaines disparaissent, après 3 mois, 1 an. Je les jette parce que je ne les trouve pas si intéressantes que ça. Et puis il y a celles qui restent avec le temps. C’est le cas avec Les Tourmentés.
Cela faisait une petite dizaine d'années que cette histoire traînait, cette idée de faire un remake du film mythique Les Chasses du Comte Zaroff. J’avais envie de faire un film simple : trois comédiens, une forêt. Mais les choses ont tourné autrement. Je venais de terminer le montage du film Des Hommes, et le confinement est arrivé, avec cette impression d’avoir du temps devant soi, d’être dans un moment un peu flottant. J’ai eu envie d’écrire autre chose, sous une autre forme, en me disant que j’allais prendre le temps, que rien ne me pressait. De fil en aiguille, je suis arrivé au bout d'un roman en y prenant beaucoup de plaisir. En retrouvant un plaisir d'écriture que peut-être j'avais un peu perdu, qui était le plaisir de la liberté en fait. Et il y avait le fait d'écrire sans aucune contrainte, ni de production, ni d'édition, parce que je n'avais pas d'éditeur à l'époque, ni de rien. Je n'écrivais que pour moi à ce moment-là.
Et donc j'ai pu même changer de projet en cours de route. C'est-à-dire qu'au fur et à mesure que j'écrivais, j'avais de moins en moins envie d'écrire une chasse à l'homme, et de plus en plus envie de parler des personnages, de leur âme. Donc voilà comment le livre est né, comment l’histoire est née.
Et du roman au film ?
Lucas Belvaux : Une fois le roman écrit, je l'ai fait lire à un ami romancier, Laurent Mauvignier, dont je venais d'adapter le livre Des hommes. Et Laurent a trouvé ça bien, m'a suggéré quelques coupes. Il m'a aussi présenté une éditrice. Pendant que je travaillais avec cette éditrice dans l’optique de la publication, j’ai alors pensé à en faire un film. Il y avait des chances pour qu’on me rachète les droits et je préférais le faire moi-même ! Et donc là-dessus, je me suis remis à l’écriture, mais cette fois d’un scénario.
Finalement, au-delà de la chasse à l’homme, c'est le parcours de ces trois âmes tourmentées qui prédomine. Qu'est-ce que vous aviez envie de faire passer dans cette histoire qui est un peu un genre de conte sombre, de thriller extrêmement psychologique ?
Lucas Belvaux : Ce qui m'intéresse d'une manière générale, ce sont les personnages, et la manière de les rendre le plus humain et complexe possible. Après, humain et complexe ne veut pas dire nécessairement naturaliste. Ce qui m'intéresse, c'est leur dimension tragique, un peu comme une tragédie classique. Je trouve que le personnage joué par Ramzy, par exemple, pourrait être dans l'Iliade. C'est un personnage homérique, avec un rapport au destin, à quelque chose qui arrive de très fort comme cela au début.
Au début, je croyais que j'écrivais pour arriver à cette fameuse chasse à l'homme, et en fait plus j'avançais, moins j’avais envie d'écrire cette partie. Il y a de nombreux films, beaucoup de romans traitant de chasses à l'homme, de poursuites dans la nature. On en a vu beaucoup. Et au contraire, plus j’écrivais sur les personnages, plus je m’attachais à eux, à leur humanité, à leurs failles. Allais-je les tuer ? Est-ce que le monde n'est pas suffisamment noir et brutal comme ça ? Comment les sauver ? Est-ce qu'ils vont renoncer à cette chasse à l'homme alors qu'ils sont intimement persuadés que c'est leur destin, qu’il est inéluctable ? Tout passe par la découverte de l'affection, de l'amour, du fait que la vie peut être belle et qu'elle n'est pas que noire, que désespérée, que violente.
Oui, le film est traversé par de thématiques universelles. Le point de départ, c’est est-ce que la vie a un coût, a-t-elle un prix ?
Lucas Belvaux : Oui le début est très noir (sourire). On retrouve pleins de sujets dans le film : l'amour, la paternité, la camaraderie, et puis il y a aussi le rapport à l'argent, le capitalisme. Que vaut la vie d'un homme ? Elle vaut déjà le prix de sa force de travail. Pour gagner sa vie, pour vivre tout simplement, nous sommes obligés de vendre notre force de travail qui va être évaluée plus ou moins bien. Ce sont des questions qui se posent aujourd'hui : l'écart de salaire, de fortune, de richesse entre les plus pauvres et les plus riches se creuse de plus en plus. Donc, il y a un aspect très réaliste dans la noirceur du début, dans cette idée qu’une personne riche puisse « acheter », « posséder » quelqu’un de pauvre pour de l’argent.
Comment avez-vous composé votre casting, parce qu'il est essentiel dans le film ?
Lucas Belvaux : C'est toujours un peu empirique de concevoir son casting, c'est-à-dire que ce n'est jamais évident au moment où on le fait, or à la fin il faut que cela soit une évidence pour le spectateur quand il découvre le film, il ne doit pas se poser de question. Et donc, on tâtonne, on pense à des gens, on fait des aller-retours. Petit bout par petit bout, tout à coup, il y a une espèce d'avatar qui va se créer, et un acteur qui va correspondre et lui prêter ses traits. Et puis il y a une chronologie qui se fait aussi. Il y a d'abord un acteur qui apparaît, qui s'impose, là en l'occurrence, cela a été Ramzy. Ça a été le premier... avec, très vite, Linh-Dan Pham incarnant Madame. À partir du moment où j'avais ce couple-là, il fallait construire le reste de l’édifice en fonction d'eux, marier des personnalités, avoir des acteurs qui ne se ressemblent pas.
Ce qui est drôle c’est que Ramzy et Niels Schneider se connaissaient, ils s’entendaient très bien car ils avaient tourné ensemble dans la série Baron Noir. Et Ramzy et Linh-Dan avaient joué ensemble dans le dernier Astérix. Ils s'estimaient, ils aimaient bien travailler ensemble. Donc dès le départ, déjà ça roulait, après ce sont des acteurs et ils ont l'habitude de très vite trouver les connexions.
Et puis après, il y avait aussi un atout, c'est qu'ils avaient tous lu le livre, ils l’avaient avec eux, le regardaient le soir. Ils se sont beaucoup nourris du livre qui est peut-être plus singulier que le film dans sa forme, plus sombre aussi.